Le principe d'une tarification dynamique de l'électricité apparaît comme difficilement soutenable dans un contexte de tension sur les marchés de l'énergie.
Le 9 juillet 2020, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) lançait une consultation sur les contrats d’électricité à tarification dynamique. Elle répondait ainsi à l’article 11 de la directive européenne 2019/944 demandant aux états membres d’offrir à tout consommateur équipé d’un compteur intelligent la possibilité de souscrire un contrat d’électricité à tarification dite dynamique. La tarification dynamique est définie comme « un contrat de fourniture d'électricité conclu entre un fournisseur et un client final qui reflète les variations de prix sur les marchés au comptant, y compris les marchés journaliers et infra-journaliers, à des intervalles équivalant au moins à la fréquence du règlement du marché ».
A l’époque, nous avions décidé avec le professeur Stéphane Auray, du Centre de Recherche en Economie et Statistique et avec Benoît Thieurmel, Managing Partner en charge de l’activité Extended Finance de Quadratic et alors directeur des opérations de Datastorm, d’apporter une contribution à cette réflexion.
Notre analyse, tant qualitative argumentée sur des articles de référence, que quantitative à l’aide des différentes données de marché disponibles, avait principalement porté sur l’impact que ce type de tarification pourrait avoir sur les différents acteurs du marché : consommateurs, producteurs et opérateurs de réseaux.
Par impact, nous avions notamment essayé de mesurer si ce type de tarification était susceptible de répondre aux objectifs de la directive, à savoir : offrir une tarification flexible, plus lisible et contribuer aux besoins de lissage de la consommation et donc des prix.
Aujourd’hui, avec les perturbations (le parallèle météorologique inciterait plus à parler de tempête) que subit le marché depuis le début de l’automne 2021 - perturbations dues à de multiples facteurs : reprise économique post-covid, diminution des flux de gaz russe dès l’été 2021, parc de production nucléaire présentant de grandes indisponibilités, guerre en Ukraine - il nous semble intéressant de compléter nos travaux avec une analyse d’impact que ce type de tarification aurait eu sur les consommateurs. En effet, si de nombreux mécanismes, dont un bouclier tarifaire particulièrement fort, ont été mis en place dès l’automne 2021 pour limiter l’impact de la hausse des prix sur les consommateurs (principalement résidentiels), nous observons aujourd’hui que de nombreux consommateurs (résidentiels ou professionnels, sans même parler des entreprises et collectivités) se voient proposer des renouvellements contractuels avec des augmentations très fortes à anticiper sur leur facture.
Pour les résidentiels par exemple, les mécanismes ont limité la hausse du tarif régulé à 4% en février 2022, alors que le mécanisme normal aurait entrainé une augmentation de près de 45% (en fait seulement de l’ordre de 41,8% sur la part fourniture, mais nous garderons 45% pour la suite de l’analyse).
A l’aide des données de marché, nous avons cherché à mesurer quel serait l’impact d’une tarification entièrement indexée spot sur un résidentiel.
Pour cela, comparons la période février à août 2022 à la même période en 2021 (sources ENTSOE-E Transparency Platform pour les prix, RTE pour le niveau de consommation) :
Le pic de marché du 4 avril (qui fait suite à une vague de froid tardive fin mars 2021) écrase la perspective, mais l’échelle de gauche met en évidence que les prix de marché se situent sur la période généralement entre 150 et 600 €/ MWh (prix moyen non pondéré à environ 295 €/MWh), contre des prix situés entre 50 et 150 €/MWh en 2021 (prix moyen non pondéré à environ 64 €/MWh). L’augmentation est donc particulièrement forte. On peut visualiser ceci par exemple sur les mois de juillet et d’août où l’augmentation est encore plus flagrante :
Si l’on pondère maintenant ces prix sur la période par le profil de consommation moyen des résidentiels (source RTE), nous obtenons un prix moyen de 62,05 €/MWh en 2021 et 280,13 €/MWh en 2022, soit une augmentation de 351%.
Pour obtenir cette projection, nous avons pondéré la courbe noire par la courbe bleue du graphe ci-dessous, laquelle fournie le niveau de consommation du secteur résidentiel sur la période (source RTE) :
On notera que sur cette période les niveaux de prix ont été globalement croissants, alors que la consommation était naturellement en baisse à la sortie de l’hiver (on constate un coefficient de corrélation à -0,2 pour cette période en 2021).
La première constatation est qu’une tarification dynamique indexée spot (en considérant la prime de risque du fournisseur identique sur les deux années) aurait conduit la facture d’un consommateur ne changeant pas de comportement de consommation à être multipliée par 4,5. Très loin des 45% d’augmentation du tarif régulé de vente (même si les deux chiffres ne sont pas totalement comparables puisque l’augmentation du TRV inclut les variations de plusieurs composantes, mais l’augmentation liée à la part énergie post écrètement ARENH était du même ordre de grandeur, à 42%).
Imaginons maintenant que ce consommateur réussisse à reporter 50% de sa consommation en heures pleines vers des heures creuses (hypothèse très optimiste comme nous le soulignions dans notre étude en 2020), nous pouvons dès lors déformer le profil de consommation qui s’applique en 2022 et nous trouvons alors un prix moyen de 278,95 €/MWh.
Même si le mécanisme incitatif de report de consommation est effectif (très effectif dans l’hypothèse prise !), la facture du consommateur aurait de fait augmenté de 349% par rapport à 2021.
Nous avons refait ces calculs mois par mois, afin de pouvoir mesurer l’impact de chaque période. Force est de constater que c’est la période estivale qui a vu les plus grosses augmentations de prix se produire du fait de la situation particulièrement chahutée des marchés.
Aussi, et ce n’était pas l’objet de la consultation de la Commission en 2020 qui cherchait avant tout des réponses sur le mécanisme lui-même, il apparaît que des consommateurs ayant souscrit une offre à tarification dynamique auraient connu une augmentation de leur facture très importante, de l’ordre de 6 fois l’augmentation du tarif régulé.
Bien entendu, ceci n’est pas soutenable pour le consommateur final qui, s’il doit accepter de payer plus cher son électricité dans le futur doit également pouvoir arriver de manière progressive à un tarif plus élevé et ne pas subir directement les variations brutales du marché.
On pourrait légitimement s’interroger sur la pertinence du tarif régulé dans une économie de marché, et c’est sans doute le principal argument que les défenseurs d’une tarification dynamique utiliseraient.
Mais le fait que l’on parle d’un prix régulé ne modifie pas outre mesure l’analyse : dans une logique de marché et sur la base d’offres indexées dont la couverture serait faite progressivement en amont de la livraison, on retrouverait un mécanisme de formation du prix de vente final tout à fait similaire, dans son évolution, au tarif régulé.
En effet, le tarif régulé de vente de l’électricité est indexé, pour sa part « fourniture », principalement sur les prix de marché (plus précisément sur les prix forward), par un mécanisme de lissage de la couverture sur les deux années précédant la livraison. Ce mécanisme est en tout point similaire à celui mis en œuvre par un fournisseur qui établirait un prix indexé en s’approvisionnant progressivement et préalablement sur les marchés.
A l’inverse, si les prix devaient redescendre fortement dans les mois qui viennent, un consommateur disposant d’un contrat à tarification dynamique verrait sa facture baisser beaucoup plus rapidement que les autres, à condition qu’il ait pu d’ici là régler ses factures d’énergie !
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Liens et références :
Méthodologie de construction des tarifs réglementés de vente d’électricité
Les données de consommation utilisées dans les graphiques :
https://opendata.reseaux-energies.fr/
Les données de marché utilisées dans les graphiques :
https://transparency.entsoe.eu/
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